François Laporte est le Président de Teamsters Canada, le plus grand syndicat de transport et de logistique au pays. Dans le secteur ferroviaire, les Teamsters représentent les travailleurs du Canadian National, du Canadian Pacific, de VIA Rail, et de nombreuses lignes secondaires. Le syndicat représente également les travailleurs exploitant les trains de banlieue dans les trois plus grandes villes du Canada.
Il y a exactement dix ans, un train de marchandises sans conducteur et incontrôlé, composé de 74 wagons transportant du pétrole brut, a dévalé une pente et a déraillé. Le résultat fut une explosion catastrophique qui a rasé la petite ville de Lac-Mégantic et tué 47 personnes.
La catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic a eu un impact profond sur le transport ferroviaire, et malheureusement, nous n’avons pas encore tiré les bonnes leçons. Peu de choses ont malheureusement changé depuis ce désastre, que l’on parle de réglementations, ou de leur mise en œuvre.
Chaque année, le Canada doit faire face à des centaines de déraillements, incendies, explosions, collisions, et cas de trains incontrôlés. Des marchandises dangereuses sont souvent impliquées dans ces accidents. Chaque cas a le potentiel de déclencher une catastrophe : depuis Lac-Mégantic, 21 employés de chemin de fer sont morts et 110 ont été gravement blessés au travail.
Les quelques changements annoncés après Lac-Mégantic, comme une légère amélioration des wagons-citernes DOT-111 impliqués dans le déraillement, n’abordent guère les grands enjeux de sécurité qui accablent l’industrie ferroviaire.
C’est par chance si, jusqu’à présent, nous avons évité une autre catastrophe de l’ampleur de Lac-Mégantic.
Transports Canada semble rencontrer de réelles difficultés à faire appliquer ses propres règles et réglementations. En l’absence d’une application rigoureuse et efficace, le fardeau de la protection des travailleurs et du public retombe souvent sur notre syndicat.
Le mois dernier seulement, après des années d’efforts de la part de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, un juge fédéral a déclaré le Canadien Pacifique coupable d’outrage au tribunal. La compagnie de chemin de fer avait désobéi à une ordonnance lui enjoignant de cesser de surmener les équipes de train. Se croyant au-dessus des lois, l’entreprise avait ignoré les règles sur la fatigue pendant des années, sachant qu’elle pouvait le faire impunément. Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à empêcher Canadian Pacific d’exploiter ses travailleurs.
Les données scientifiques sur la fatigue des équipes sont connues, et la menace est bien réelle. Les cheminots qui restent éveillés pendant 17 heures ont les mêmes facultés affaiblies qu’un conducteur avec un taux d’alcoolémie de 0,05 g/100ml. Une pleine journée sans sommeil est comparable à un taux d’alcoolémie de 0,10 g/100ml. Songez au danger la prochaine fois que vous voyez un train de 4 kilomètres de long traverser votre quartier.
Selon la réglementation de Transports Canada, les travailleurs ferroviaires ne peuvent travailler plus de 12 heures, sauf exception. Cette limite peut être réduite à 10 heures en vertu de certaines dispositions de nos conventions collectives. Cependant, les données fournies par Canadian Pacific suggèrent que des milliers de situations continuent de se produire chaque année où les équipes de train ne sont pas relevées à temps. En ce moment même, pendant que vous lisez ces lignes, des cheminots fatigués partout au Canada conduisent des trains alors qu’ils devraient se reposer.
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada, une agence indépendante chargée d’enquêter sur les accidents ferroviaires, tient une liste des principaux problèmes affectant la sécurité ferroviaire. La fatigue et le manque de supervision réglementaire figurent en bonne place sur cette liste. L’agence a critiqué la surveillance de Transports Canada comme étant « insuffisante », permettant la récurrence de dangers année après année sans intervention sérieuse. L’agence souhaite également que Transports Canada démontre sa capacité à faire respecter les règles et à corriger les pratiques dangereuses des compagnies ferroviaires.
Les Teamsters seront toujours prêts à défendre la sécurité des travailleurs et des Canadiens. Mais il y a une limite à ce que nous pouvons faire seuls. Aucun syndicat ne peut ou ne doit supplanter le rôle des régulateurs gouvernementaux pour assurer un système ferroviaire sûr pour les Canadiens.
En matière de sécurité ferroviaire, les enjeux sont énormes. Et tant qu’Ottawa n’aura pas le courage de faire face aux compagnies ferroviaires, un autre Lac-Mégantic peut se produire à tout moment.