Laval, le 16 octobre 2017 – Les aînés qui habitent les CHSLD pourront bientôt faire installer des caméras de surveillance dans leur chambre, et ce, à l’insu des dirigeants de l’établissement et des travailleurs qui y oeuvrent. C’est ce que le gouvernement Couillard a annoncé le 11 octobre dernier, en plein remaniement ministériel. L’objectif du gouvernement est de lutter contre la maltraitance faite aux aînés.

Selon les statistiques présentées dans le plan d’action gouvernemental, 55 % des situations traitées par la ligne Aide Abus Aînés impliquent un membre de la famille immédiate ou de la famille élargie de la personne maltraitée. Le gouvernement ne remet donc pas en question le dévouement des travailleurs et travailleuses dans les CHSLD.

Malheureusement, la loi et les directives gouvernementales comportent de graves lacunes que les parties prenantes à ce dossier auraient tort d’ignorer.

Ainsi, selon le projet de règlement, les enregistrements de caméras ou de microphones installés dans les chambres devront être effacés tous les six mois s’il n’est plus pertinent de les conserver. Nulle part n’est-il fait mention dans le projet de règlement de quelle manière on entend vérifier si ces données ont bel et bien été effacées puisque seuls les aînés (ou leurs mandataires) en connaîtront l’existence.

Le syndicat des Teamsters, qui représente plus de 1000 travailleuses et travailleurs dans les résidences pour aînés privées et les CHSLD, est d’avis que la maltraitance à l’égard des aînés est inacceptable et doit être dénoncée et punie. Cependant, l’absence de contrôle des enregistrements ouvre la porte à une utilisation inadéquate, voire illégale, de ces données.

« Les employés et les bénévoles dans les résidences privées et les CHSLD travaillent avec grand professionnalisme et font tout en leur pouvoir pour assurer la santé, la sécurité et le bien-être des aînés, rappelle le président de la Section locale 106 des Teamsters, Jean Chartrand. Installer une caméra dans une chambre est une chose, mais il faut bien en encadrer l’utilisation pour éviter les débordements et les abus. »

Un cas type

Prenons le cas d’un établissement où le manque de ressources est criant. Sur un étage donné, six préposées aux bénéficiaires sont nécessaires pour donner les services aux résidents. Sur cet étage, la plupart des personnes âgées sont, dans le meilleur des cas, en perte d’autonomie ou encore souffrent de problèmes cognitifs graves, par exemple de démence et de la maladie d’Alzheimer. Si les travailleuses et travailleurs doivent gérer simultanément six cas qui demandent une attention immédiate – ou, pis encore, des urgences – et qu’elles ne peuvent répondre aux besoins d’un septième résident en détresse, est-ce que les enregistrements des caméras seront utilisés pour démontrer que les soins requis n’ont pas été donnés?

Les problèmes dans le réseau de la santé et dans les résidences, qu’elles soient privées ou publiques, sont bien connus : affectation des ressources laissant à désirer, manque de ressources financières ou d’outils efficaces, taux de roulement alarmants, taux d’absentéisme élevés en raison des exigences physiques et psychologiques élevées du travail, piètres salaires (particulièrement dans les résidences privées), etc. Il ne faudrait donc pas conclure à de la maltraitance à l’égard des personnes âgées en raison des défaillances du système.

Bref, le syndicat des Teamsters n’est pas contre l’installation de caméras dans les CHSLD, mais il estime que les balises encadrant l’utilisation de ces caméras sont insuffisantes.

Quelques statistiques à propos de la maltraitance à l’égard des aînés :

  • Selon la ligne Aide Abus Aînés, 2,71 % des aînés sont maltraités par un intervenant, un préposé ou un professionnel;
  • 55 % des situations traitées par la ligne Aide Abus Aînés impliquent un membre de la famille immédiate ou de la famille élargie de la personne aînée maltraitée;
  • Dans près de 70% des cas, ce sont les femmes aînées qui sont victimes, selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ);
  • Les statistiques colligées par la ligne Aide Abus Aînés indiquent que 64 % des cas de maltraitance sont d’ordre financier ou psychologique;
  • En 2015-2016, le Curateur public a traité 130 dossiers dans lesquels un abus financier était soupçonné;
  • Les statistiques de la CDPDJ relatives à l’exploitation des personnes âgées démontrent qu’un abus financier est en cause dans la grande majorité des dossiers ouverts chaque anné

Sources :

Projet de règlement, Règlement concernant les modalités d’utilisation de mécanismes de surveillance par un usager hébergé dans une installation maintenue par un établissement qui exploite un centre d’hébergement et de soins de longue durée, Gazette officielle du Québec, 11 octobre 2017, 149e année, n° 41.

Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes âgées (2017-2022) du gouvernement du Québec (http://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/plan-action-maltraitance-2017-2022.pdf)

Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité, RLRQ, c. L-6.3

Orientations ministérielles relatives à l’encadrement de l’utilisation des caméras et autres moyens technologiques pour des fins de surveillance dans les établissements exploitant une mission CHSLD, janvier 2017.