Chaque mois, j’utilise cet espace pour aborder un enjeu qui touche directement nos membres. Le mois dernier, il était question de la vague de lois qui menacent nos droits syndicaux. Ce mois-ci, je souhaite revenir sur un problème contre lequel nous luttons depuis longtemps, bien avant que la majorité n’y porte attention : Chauffeur inc.
Pour celles et ceux qui découvrent le sujet, Chauffeur inc. est un stratagème utilisé par certaines entreprises de camionnage qui forcent ou incitent les chauffeuses et chauffeurs à s’enregistrer comme « travailleuses et travailleurs autonomes », alors qu’elles et ils travaillent clairement comme employées et employés. Il ne s’agit pas de véritables propriétaires exploitantes et exploitants.
On parle ici de travailleuses et travailleurs faussement considérés comme autonomes. Concrètement, l’employeur contourne la loi et « économise » toutes les cotisations sociales ainsi que les contributions aux régimes d’avantages sociaux et de retraite. Pendant ce temps, les chauffeuses et chauffeurs reclassés perdent les protections et avantages prévus au Code du travail, notamment les heures supplémentaires, les vacances payées, l’assurance emploi, l’indemnisation en cas d’accident du travail, ainsi que toute réelle capacité de se défendre. Tout ce qui assure un emploi stable et de classe moyenne disparaît tranquillement.
Teamsters Canada tire la sonnette d’alarme depuis des années. Nous avons rencontré des ministres et des responsables gouvernementales et gouvernementaux de tous les partis, comparu devant des comités parlementaires, et travaillé avec des employeuses et employeurs honnêtes qui nous ont clairement dit être incapables de rivaliser dans ces conditions illégales et déloyales.
Leurs concurrents les sous-enchérissent simplement en enfreignant la loi tout en qualifiant des employées et employés de « contractuels ». Chauffeur inc. ne nuit pas seulement aux travailleuses et travailleurs. Il fait souffrir l’ensemble de l’industrie, récompense les pires pratiques et tire les salaires vers le bas. Ce modèle contribue directement à l’érosion des bons emplois dans le transport routier au pays.
Il y a tout de même une bonne nouvelle. Après des années de pression de la part des syndicats et des transporteurs légitimes, le gouvernement fédéral semble enfin prendre la situation au sérieux. Ottawa a annoncé un renforcement des inspections, une application plus rigoureuse de la loi et une collaboration accrue avec l’Agence du revenu du Canada. Ce n’est pas tout ce que nous avons demandé, mais il s’agit d’un progrès important qui démontre que la voix des Teamsters, sur la colline et sur le terrain, porte ses fruits.
Mais restons lucides. Les entreprises qui ont bâti leur modèle d’affaires sur la tricherie n’abandonneront pas facilement. Plusieurs tentent déjà de réinventer le stratagème en multipliant les sous-traitantes et sous-traitants ou en utilisant des contrats plus sophistiqués pour donner une apparence de légalité à des pratiques qui ne le sont pas. L’action du gouvernement est encourageante, mais elle ne signifie pas que le problème est réglé. En réalité, la bataille ne fait que commencer.
Teamsters Canada continuera d’exiger une application rigoureuse de la loi, avec de véritables conséquences pour les contrevenantes et contrevenants. Nous continuerons d’accompagner les travailleuses et travailleurs qui souhaitent sortir de ce modèle abusif, tout en soutenant les employeuses et employeurs qui respectent les règles et veulent une concurrence équitable. Mettre fin au modèle Chauffeur inc., ce n’est pas seulement lutter contre la fraude. C’est protéger l’intégrité de l’industrie du camionnage, défendre les salaires de la classe moyenne et préserver de bons emplois pour les générations futures.
Le gouvernement commence enfin à agir, mais les fraudeuses et fraudeurs ne se laisseront pas faire. Notre responsabilité est de nous assurer qu’elles et ils ne puissent jamais revenir sous un nouveau nom. Nous avons été parmi les premiers à dénoncer Chauffeur inc., et nous ne cesserons pas le combat tant que l’exploitation et la mauvaise classification des chauffeuses et chauffeurs n’auront pas disparu.
François Laporte
Président de Teamsters Canada
Vice-président de la Fraternité internationale des Teamsters


















