Un capitaine de police se rappelle le déraillement mortel
Associated Press
Publication : le lundi 19 janvier 2009

MINOT
– Le souvenir d’une brume toxique recouvrant la ville de Minot dans les premières heures du 18 janvier 2002 demeure profondément enraciné dans l’esprit de bon nombre de gens.

Pour certains vivant près du site du déraillement, les vapeurs étouffantes ont déclenché une réaction de combat ou de fuite, un instinct qui s’est avéré fatal lorsque John Grabinger a dirigé son camion tout droit dans sa maison parce qu’il ne pouvait rien voir. Son épouse a pu se rendre dans la maison, mais ce ne fut pas le cas pour John, qui est décédé dans son entrée de cour.

Steve Kukowski s’en enfui du nuage toxique cette nuit-là et a survécu, mais il a subi des lésions irréversibles et permanentes à un œil. M. Kukowski, un capitaine du service de police de Minot, vivait à quelques centaines de mètres du lieu du déraillement. Il s’est entretenu avec The Minot Daily News sur ses horribles souvenirs de cette nuit fatidique.

« J’ai entendu la collision, mais j’ignorais ce qui venait de se produire, se rappelle M. Kukowski. Je me suis levé et j’ai fait le tour de la maison. Tout à coup, j’ai entendu un bruit de grand vent. » Évidemment, ça devait être le bruit des réservoirs en train de vider leur contenu.

« J’ai regardé par la fenêtre, et c’était comme si les réservoirs étaient recouverts de givre (parce que le nuage anhydre était très épais). Je ne pouvais rien voir dehors, et j’ai donc décidé d’ouvrir ma porte de garage. Ce faisant, j’ai été envahi par le nuage.

Un nuage blanc a envahi le garage et j’ai eu le souffle carrément coupé. »

M. Kukowski explique que le système téléphonique ne fonctionnait pas; il a donc dû utiliser son téléphone cellulaire pour informer le poste de police du déraillement. Ne sachant pas encore de quoi il s’agissait, M. Kukowski a fui la scène en automobile avec les membres de sa famille.

« Ils (les agents au poste) m’ont dit de quitter si je le pouvais, ajoute-t-il. Quelque temps plus tard, nous avons entendu dire qu’un refuge avait été aménagé. Si je l’avais entendu plus tôt, c’est certainement ce que j’aurais fait. »

M. Kukowski explique que personne ne connaissait les effets possibles de l’exposition à ce nuage alors que les terribles événements se déroulaient.

« Sur-le-champ, si vous aviez demandé à quiconque de vous expliquer ce qu’il connaissait de l’ammoniac, il aurait répondu que les agriculteurs utilisaient ce produit extrêmement dangereux.

Initialement, je pensais que c’était pour être un cercueil.

Dès que l’automobile était sortie du garage, je ne pouvais plus voir mon garage. J’ai pensé rester dans la maison, mais j’ai vite changé d’idée, craignant que le nuage engouffre la maison, rendant la respiration impossible. »

M. Kukowski explique qu’il a immédiatement eu l’idée de se diriger vers la route de contournement de l’autoroute 83 pour se rendre à plus haute altitude.

Il a dû rouler lentement parce que le nuage rendait la visibilité nulle.

« J’avançais à pas de tortue dans la rue en me fiant à l’accotement pour m’orienter, dit-il. J’avançais à peine, et je me suis dit que si j’entrais en collision avec une autre voiture ou un obstacle, il ne fallait pas que je frappe trop fort pour être en mesure de reculer et de contourner l’obstacle. »

Heureusement, M. Kukowski avait parcouru ces mêmes routes des centaines de fois et les connaissait très bien.

Il affirme qu’il lui a fallu une vingtaine de minutes pour parcourir environ quatre pâtés de maisons, mais qu’il n’a rien frappé en chemin.

Cependant, avec chaque minute qui passait, l’exposition au gaz rendait la respiration de plus en plus difficile.

« Chaque respiration que nous prenions nous coupait le souffle. Je me rappelle que j’avais une serviette avec moi et que mes yeux brûlaient et larmoyaient. »

M. Kukowski explique qu’à un certain moment, il s’est rendu compte que s’il gardait les yeux ouverts, ses deux yeux seraient boursouflés.

« J’ai donc fermé un œil, me disant que si la situation devenait intolérable, j’ouvrirais l’autre œil.

Les membres de ma famille avaient des serviettes. Ils portaient tous leur capuchon de parka et utilisaient la serviette pour se couvrir la tête. Tout le monde toussait. »

Ce vétéran de la police comptant plus de 35 années de services a presque tout vu au cours de sa carrière, dont des scènes d’homicide et de suicide et d’horribles accidents de la route. Mais l’émotion de cette nuit, même sept ans plus tard, continue de l’envahir lorsqu’il se rappelle avec vivacité l’enfer froid, noir et étouffant duquel il tentait de faire sortir sa famille.

« C’est surprenant ce qu’on réussit à accomplir lorsqu’on a un fils de 9 ans sur la banquette arrière en train de crier qu’il ne veut pas mourir », dit-il, la voix nouée par l’émotion.

« Nous avons atteint la route de contournement. Plus on montait, plus le nuage se dissipait, poursuit M. Kukowski. Soudainement, rendu plus haut, on a vu beaucoup de feux rouges et de pompiers.

« Nous avons atteint le sommet, et les pompiers et secouristes n’en revenaient pas que nous avions réussi à nous échapper. Une autre voiture nous suivait. »

M. Kukowski explique qu’il a tenté de se rendre à l’hôpital Trinity avec sa famille pour obtenir des soins, mais qu’il n’a pas pu s’y rendre parce que le nuage toxique se dirigeait vers le centre-ville de Minot.

« Nous n’avons pas pu nous y rendre. J’ai dû emprunter la route de campagne jusqu’à Burlington. Nous avons abouti à une église où un centre de triage avait été aménagé. Mes yeux étaient alors tellement enflés que mes paupières s’étaient fermées. Je ne pouvais plus rien voir. Ils m’ont envoyé à Trinity par ambulance. »

On a demandé à M. Kukowski ce qui lui passait par la tête en regardant le nuage d’où il venait de sortir de la route de contournement.

« C’était atroce. C’était un énorme nuage de bruine lourde qui stagnait au-dessus de la ville. Et c’était très dense.

Nous voulions simplement nous en échapper le plus rapidement possible, et nous sommes donc partis. Je ne sais pas ce qui s’est produit à cette intersection par la suite, mais je sais que notre représentant a été coincé derrière nous. En fait, il est tombé dans le fossé presque directement derrière ma maison. »

Le représentant Scott Erb a été prisonnier de son véhicule pendant environ 45 minutes et a subi des blessures qui affecteraient sa carrière.

Les conséquences émotionnelles pour les victimes qui ont échappé à la mort ou à de très graves blessures de justesse se font encore sentir aujourd’hui. M. Kukowski avoue qu’il a presque immédiatement été plongé dans un enfer émotionnel.

« Un peu de tout, explique-t-il à propos des émotions qu’il a vécu et vit encore aujourd’hui. Voyez-vous, on passe par toute la gamme d’émotions dans une telle situation.

« J’aurais bien voulu en savoir plus sur l’ammoniac, mais que saurions-nous faire aujourd’hui en cas d’un déversement de chlore, par exemple? Demain, nous en saurions beaucoup, car nous serions inondés de reportages sur ce qui aurait dû être fait et comment nous aurions dû le faire.

Et c’est pour cette raison que nous (les policiers) recevons de la formation. C’est pourquoi nous nous préparons à des catastrophes, des inondations et toutes sortes de situations. Pour ainsi minimiser les dommages et les blessures dans la mesure du possible », explique-t-il.

« Initialement, j’ai ressenti une grande frustration. J’ai perdu la vision pendant plusieurs jours avant qu’elle ne revienne progressivement. Ensuite, j’ai longtemps été frustré par les soins médicaux que nécessitait mon état. J’ai dû subir des interventions chirurgicales pour tenter de rétablir ma vision, mais rien n’a fonctionné. »

M. Kukowski affirme avoir conclu une entente avec le chemin de fer en vertu de laquelle le CP s’est engagé à acheter sa maison.

« Me suis-je entendu avec le CP? Oui, mais je n’ai pas obtenu une somme suffisante pour couvrir toutes mes dépenses. »

Il explique que ses frais médicaux et plusieurs autres facteurs, dont les congés de maladie qu’il a dû prendre, lui ont coûté considérablement plus que le montant qu’il a reçu du CP.

Nonobstant sa colère et sa frustration, M. Kukowski n’en veut pas aux deux hommes qui manœuvraient le train cette nuit-là.

« Je sais aujourd’hui que le déraillement a été le résultat du passage du train sur une section de voie mal entretenue, et j’ai beaucoup de compassion pour ces gens qui manœuvrent les trains. De s’en sortir et d’avoir eu la présence d’esprit qu’ils ont eue, comment l’expliquer? Je sais que la situation était grave et je ne sais pas comment ils ont survécu. De se trouver au point zéro et s’en sortir, je ne peux y croire. »