Leonard Doyle
Date de publication : le 11 juillet 2007
L’autobus transportant 50 mineurs fatigués et souillés venait tout juste de quitter la mine La Loma lorsque des malfaiteurs armés l’ont forcé à s’immobiliser et ont fait descendre de force deux dirigeants syndicaux. Les malfaiteurs en ont tué un sur place de quatre balles dans la tête tandis que l’autre a été torturé puis exécuté. Six mois plus tard, un autre dirigeant syndical s’étant rendu à la mine a également été assassiné.
Les hommes, membres du syndicat Sintramienergetica, essayaient d’améliorer les conditions de travail horribles et dangereuses dans une mine de propriété américaine, qui expédie d’énormes quantités de charbon extraites de la Colombie vers l’Europe et l’Amérique du Nord.
Six ans plus tard, un tribunal fédéral de Birmingham, Alabama instruit une cause contre Drummond, la compagnie charbonnière privée, accusée de crimes de guerre. Cette semaine, il a entendu des témoignages selon lesquelles la compagnie aurait commandé ces meurtres en mars 2001.
On y allègue qu’un trésorier du syndicat, Jimmy Rubio, a été témoin d’un échange d’argent de Drummond à un chef paramilitaire pour commander les meurtres. M. Rubio vit caché depuis que son beau-père a été tué tout juste avant qu’il devait faire une déposition dans la cause. L’issue du procès pourrait avec de lourdes conséquences sur plusieurs douzaines de multinationales américaines contre qui des actions ont été intentées en vertu d’une loi jadis obscure, la Alien Tort Claims Act, jadis utilisée dans la lutte contre la piraterie.
Cette loi vieille de 214 ans a également été invoquée par des groupes de défense des droits de la personne pour s’attaquer à quelques-unes des plus grandes sociétés américaines : Exxon Mobil, Chevron Texaco, Del Monte, Citigroup et Bank of America. Cinq entreprises, dont un embouteilleur pour Coca-Cola, ont été accusées par le même syndicat ouvrier d’avoir embauché des groupes paramilitaires pour tuer les dirigeants syndicaux.
Chiquita, la société de bananes, a récemment avoué avoir payé des milices de droite pour assurer la protection de ses opérations colombiennes. Elle s’est vu imposer une amende de 25M $ (12,5M £) cette année pour avoir versé 1,7M $ à des milices entre 1997 et 2004. Chiquita affirme que les paiements versés chaque mois par sa filiale en propriété exclusive Banadex visaient à « protéger la vie de l’ensemble de ses employés ». De telles pratiques étaient courantes parmi les multinationales colombiennes. Dans le cas de Drummond, on allègue qu’elle avait recours à des groupes paramilitaires pour garder les salaires bas.
« Ils croyaient que tout leur était permis, y compris le meurtre », de déclarer l’avocat représentant le syndicat, Daniel Kovalik. L’administration Bush a tenté de faire obstruction aux poursuites en alléguant qu’elles constituaient une ingérence dans la politique étrangère.
L’International Labour Rights Fund de Washington a intenté un bon nombre des 26 poursuites. C’est à lui qu’incombe le fardeau de la preuve, de démontrer le lien entre les politiques de l’entreprise et la violation des droits de la personne. Terry Collingsworth, directeur du fonds, affirme que les poursuites n’ont pas été intentées dans le but de toucher des dommages-intérêts mais plutôt de forcer l’entreprise à modifier ses pratiques commerciales.
En Colombie, le meurtre de trois recruteurs de Drummond – Valmore Locarno et son adjoint, Victor Orcasita, ainsi que son successeur, Gustavo Soler, tué six mois plus tard – n’avaient rien d’anormal. Ce pays tient compte de près de 90 % des meurtres de dirigeants syndicaux dans le monde. Dans peu de cas, les tueurs sont retrouvés et traduits en justice. Au moins 800 organisateurs syndicaux ont été tués depuis 2001. Plusieurs ont simplement décidé de quitter le pays.
Les avocats représentant les familles des trois hommes prétendent que les tueurs « agissaient comme employés ou agents » de la compagnie, qu’ils accusent de crimes de guerre dans une action civile intentée en vertu de la loi précitée, qui permet à des étrangers d’engager des poursuites juridiques contre des entreprises américaines ayant commis des infractions au droit public international.
Les familles prétendent que l’accusation de crimes de guerre est fondée parce que des groupes armés s’entretuent depuis des décennies dans le cadre de la guerre civile qui sévit en Colombie et qu’en versant de l’argent à des paramilitaires, Drummond a elle-même enfreint criminellement les droits de la personne. Dans la poursuite, il est allégué que Drummond a intimidé des militants syndicaux en permettant à « des paramilitaires connus de pénétrer sans entrave dans les installations minières » et de distribuer des pamphlets accusant les membres du syndicat d’appartenir à un « syndicat guérilla ».
Drummond, une des plus importantes charbonnières du monde, nie toute implication avec des paramilitaires. Depuis des décennies, les propriétaires fonciers et les commerces ont recours à des milices privées pour les protéger contre les guérillas. Et Drummond avance que le tribunal doit d’abord prouver que les travailleurs n’étaient pas associés à ces guérillas. La compagnie, qui a ouvert sa mine Pribbenow de 25 000 acres en 1995, produit quelque 25 millions de tonnes par année et son chiffre d’affaires annuel est d’environ 2bn $. Des rebelles de gauche ont bombardé des trains qui transportent le charbon jusqu’à la côte à au moins 40 reprises. Et Drummond paie également le gouvernement pour avoir plusieurs centaines de soldats en poste à la mine.
Les dirigeants syndicaux disent encore aujourd’hui craindre pour leur vie et ils ont maintenant l’appui du syndicat des mineurs de l’Alabama, dont 2000 membres ont perdu leur emploi depuis les années 1980, lorsque Drummond a commencé à investir en Colombie.