C’était une belle nuit, étrangement douce pour un mois d’avril. Georges Miller, 39 ans, était assis derrière le volant de sa semi-remorque. Ce membre de la Section locale 1999 du syndicat des Teamsters travaille pour Robert Transport et il en a vu de toutes les couleurs sur les routes depuis le début de sa carrière. Cependant, rien n’aurait pu le préparer au drame qui allait se jouer devant lui quelques secondes plus tard.
Dans la nuit du 10 avril dernier, M. Miller filait à bord de son camion de Québec vers Toronto, où sa cargaison était attendue, lorsqu’il a aperçu l’éclairage de deux phares de son côté de l’autoroute. En principe, ces phares auraient dû éclairer de l’autre côté du terre-plein séparant les voies de l’autoroute 30, mais, en réalité, une automobile arrivait à vive allure dans le sens contraire de la circulation.
Bref, une collision était imminente.
« J’ai immédiatement ralenti ma vitesse à 50 km/h. Je n’étais pas certain si la voiture était de mon côté de l’autoroute (en direction ouest) ou de l’autre côté (en direction est), explique le camionneur. C’est difficile de voir et de distinguer de si loin à minuit le soir. »
L’automobile se rapprochait encore et il devenait évident qu’elle allait entrer en collision avec les véhicules qui roulaient vers l’ouest.
Puis, M. Miller a aperçu du coin de l’œil un VUS s’engageant dans une manœuvre de dépassement par la gauche. Le VUS se dirigeait tout droit vers l’automobile.
« J’ai décidé d’immobiliser mon camion dans la voie d’accotement, explique le routier. J’ai observé toute la scène se déroulant devant moi. C’était comme si j’avais lu un roman de 800 pages en l’espace de quelques secondes. »
La conductrice du VUS s’est rendue compte trop tard du danger qui fonçait vers elle. Elle tenta de changer de voie pour éviter l’automobile arrivant en sens contraire. Le conducteur de cette dernière a fait exactement la même manœuvre et les deux véhicules se dirigeaient ainsi vers une collision frontale.
L’inévitable arriva : ce fut une collision frontale et brutale.
Les deux véhicules ont été projetés de chaque côté de la chaussée à une vitesse folle. Puis, plus rien autre que des cris s’échappant du VUS.
« J’ai appelé les secours, puis je suis descendu de mon camion et me suis précipité vers l’automobile. La scène était horrible et j’ai rapidement conclu qu’il n’y avait aucune chance que les occupants du véhicule aient survécu. Je me suis ensuite dirigé vers le VUS. J’ai vu la conductrice frapper à mains nues le pare-brise à travers le coussin gonflable. »
Affolée, la femme se savait prisonnière de son véhicule. Les portières étaient tellement écrasées qu’il était impossible pour elle ou ses trois passagers de sortir sans fracasser les vitres. Des automobilistes arrivés sur les lieux ont tenté en vain de les fracasser. M. Miller est retourné à son camion pour s’emparer d’une lourde barre d’arrimage qu’il a utilisée pour libérer les passagers du véhicule.
Trois des quatre occupants sont sortis du VUS en état de choc.
« J’ai demandé à un des passagers d’arrêter de bouger, parce qu’il se plaignait de maux de ventre. J’ai bavardé avec eux pendant un moment pour les rassurer. Avec l’aide d’autres automobilistes, nous avons sécurisé les lieux du mieux que nous avons pu en attendant l’arrivée des secours. »
Après avoir expliqué aux patrouilleurs de la SQ pendant deux heures ce qui s’était passé, le camionneur a repris la route vers Toronto, où sa cargaison était attendue. Il allait aussi y rejoindre son amoureuse, qui exerce le même métier que lui.
Les médias ont annoncé un peu plus tard que la conductrice du VUS, ainsi que toutes les personnes qui prenaient place à bord de l’automobile, n’avaient pas survécu à la tragédie. Une signalisation routière déficiente semble être à l’origine de la collision frontale. Les médias ont aussi rappelé qu’un accident du même genre était survenu en 2015.
Il y a 50 ans, il n’était pas rare de qualifier les routiers de chevaliers de la route. Georges Miller fait partie de cette trempe de personnes, tout comme les autres automobilistes ayant porté secours aux survivants.
Malgré les risques de circuler à pied sur une autoroute la nuit et malgré les images horribles que M. Miller a vues et n’oubliera jamais, ce membre des Teamsters n’a pas hésité à risquer sa vie pour sauver celle d’autrui.
Aujourd’hui, le courage dont il a fait preuve mérite d’être souligné.
Un billet de Stéphane Lacroix